Compte rendu de la soirée "Le monde et l'Eglise vu du Vatican" avec Isabelle de Gaulmyn
Le monde et l’Eglise vu du Vatican (soirée "Paroles A Venir" du 2 février 2010)
Pour cette soirée de notre Association « Paroles A Venir », Isabelle de Gaulmyn, responsable du domaine religieux au journal « La Croix », constituait un témoin éclairé des rapports entre la France et le Vatican ; en effet, elle a été envoyée permanente de La Croix au Vatican de 2005 à 2009. Elle s’est donc proposé de s’appuyer sur son expérience pour « rendre compte de l’Eglise universelle », et pour montrer que les questions touchant au pape et au Vatican – objet fréquent de débats enflammés dans les médias et dans l’opinion - nécessitent d’être abordées dans leur complexité.
Pour elle, une telle démarche est d’autant plus nécessaire que beaucoup repose sur un double malentendu : ce qu’on pense en France du Vatican, et ce qu’on pense de la France vu du Vatican.
Concernant le premier malentendu, il est d’abord essentiel de bien voir que le Vatican n’est pas du tout monolithique comme on le croit trop souvent. Des influences multiples s’y exercent, et les courants qui l’emportent varient selon les sujets et dans le temps. La parution d’un texte attribué au pape résulte du concours de nombreux acteurs, avec un fonctionnement pluriel du fait de la multiplicité des cercles influents : Secrétairerie d’Etat (« la garde rapprochée »), congrégations romaines et conseils pontificaux (que l’on peut comparer aux ministères d’un gouvernement), académies pontificales, universités pontificales, sans oublier le cercle influent constitué par les nombreux ordres religieux qui ont leur maison mère à Rome et qui de ce fait viennent souvent plaider une cause au Vatican (Jésuites, Dominicains, Opus Dei, etc.). Cette profusion d’instances se traduit par un mouvement permanent qui pousse à ce que Rome soit une véritable plateforme de l’Eglise universelle et pas la position du seul pape.
Par ailleurs, travailler à Rome rend conscient du décalage énorme qui existe entre l’image d’un pape vu comme tout puissant et la réalité d’une structure du Vatican « petite et fragile ». Les 3000 « fonctionnaires » du Vatican sont en fait peu nombreux face à la tâche immense de représenter l’ensemble du monde catholique ; par exemple, la structure de communication repose sur un jésuite aidé d’une quinzaine de personnes sans formation réelle en communication, ce qui n’est pas en mesure avec l’écho considérable donné aux moindres paroles du pape sur certains sujets.
Le Vatican dispose donc de très peu de moyens, mais on y trouve des gens de bonne volonté. Il remédie à ces ressources peu étoffées en fonctionnant selon une logique de subsidiarité qui s’appuie sur les Eglises locales des pays. Malheureusement, ceci n’est pas facilité par le fait que des instances telles que la Secrétairerie d’Etat et la Curie sont en pratique dans un grand isolement par rapport aux Eglises locales : ceux qui y oeuvrent vivent dans un monde très clos, sortent rarement du Vatican et ceci depuis bien des années, et leur vision du monde ne reflète donc plus la réalité. On pensait que Benoît XVI allait réformer la Curie, notamment pour y limiter le temps de résidence, mais il ne l’a pas fait et est sans doute maintenant trop âgé pour le faire.
En miroir, l’Eglise de France paraît perçue par Rome dans un total malentendu, avec beaucoup de clichés.
Pour apprécier l’état des Eglise locales, le Vatican s’appuie sur le suivi de statistiques détaillées. Or il se trouve que les critères d’appréciation sont peu favorables pour la France, quand ils mettent en évidence les baisses conjuguées des nombres de prêtres et de séminaristes, du rôle de la langue française (qui était la langue de la diplomatie du Vatican), et du nombre de prêtres français travaillant au Vatican.
Cette vision négative de la France est à l’occasion aggravée par des faits touchant aux façons différentes dont les peuples rendent compte d’eux-mêmes, de par leur propre culture : ainsi, lorsqu’un sondage révèle que la moitié des Français seulement disent croire en Dieu, alors qu’en Italie tout le monde déclare croire en Dieu même si dans la réalité la situation est assez analogue. Ou lorsque dans un autre sondage les Français disent n’avoir aucune culture biblique (alors que le même sondage révèle dans les faits chez les pratiquants une culture biblique beaucoup plus poussée en France qu’en Italie).
La vision de l’Eglise de France depuis Rome paraît donc fondée pour beaucoup sur des clichés (les évêques français sont allés dans le mur… on a fait n’importe quoi… mai 68…). Des clichés qui sont malencontreusement accentués par la spécificité toute française du phénomène traditionaliste et/ou intégriste ; d’autant que s’il y a peu de prêtres français au Vatican, on y trouve une proportion bien plus grande de traditionalistes que pour les autres pays ; souvent ayant été ordonnés hors de France et ayant vécu hors de notre pays, ils en connaissent mal la situation réelle et ne peuvent donc pas la faire bien connaître du Vatican. « Certains Français du Vatican peuvent même être assez revanchards et virulents contre l’Eglise de France ».
A l’encontre de cette vision négative du Vatican, Isabelle de Gaulmyn dit que ce qui l’a frappé à son retour en France est que l’Eglise y est très vivante. Du fait que seuls 50% des Français se disent catholiques et 5% pratiquants réguliers, l’Eglise de France a pris acte du fait qu’elle est minoritaire et s’est appuyée sur ce constat réaliste pour avancer ; les travaux de Mgr Dagens sur la sécularisation sont d’ailleurs source d’inspiration en Allemagne et en Italie. De grandes innovations sont en cours, avec la mise en place de secteurs paroissiaux et de communautés chrétiennes de base, avec des laïcs qui prennent les choses en main et qui se forment, à un stade très en avance sur les autres pays. Pour Isabelle de Gaulmyn, l’Eglise de France est un laboratoire de l’Eglise en Europe, et c’est cette image juste qu’il faut arriver à renvoyer au Vatican. Bien sûr, les médias ont une certaine responsabilité dans les clichés véhiculés sur l’Eglise de France, dans la mesure où ils fondent leur vision sur la personnalisation, et trouvent plus facile de suivre une personne – le pape – que de rendre compte de la diversité des évêques ; heureusement, sur ce plan, Benoît XVI s’efforce de concentrer moins l’attention sur lui que son prédécesseur. Mais il faut aussi que les catholiques français fassent de gros efforts pour renvoyer une image reflétant bien la situation française réelle. Il est très douloureux pour l’Eglise de France et pour les catholiques français de voir que l’image qu’on leur renvoie d’eux est souvent celle de l’intolérance, alors qu’ils vivent concrètement le contraire.
Il y a donc un travail à faire dans l’Eglise de France, avec un besoin de passeurs et de mise en lumière. Plus que les médias, c’est l’Eglise de France qui communique mal sur ce qu’elle vit.
Et, sur le fond, conclut Isabelle de Gaulmyn, il faut continuer le travail fait pour passer de la foi culturelle qui avait cours à une foi de conviction.
Jean-Michel Tesseron (pour le Bureau de Paroles A Venir)